Seconde moitié du XVIIIème
Wolgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Parler de don miraculeux ne reflète que très faiblement les réalités du pouvoir compositionnel de ce génie de la musique.
Mozart, qui commença à composer vers 6 ans, aura écrit en moins de trente ans plus de six cents oeuvres dont vingt-sept concertos pour piano, plus d’une vingtaine de concertos pour toutes sortes d’instruments, vingt-quatre quatuors…. Des dizaines d’années de la vie d’un copiste seraient nécessaires pour recopier son oeuvre!
Mais, au-delà du catalogue, Mozart rayonne par la diversité des styles, des genres, des formes utilisées, le tout étant magnifié par une spontanéité et une maturité incomparables.
Ce musicien a également une oreille et une mémoire exceptionnelles: lors d’un voyage à Rome en 1770, il recopie entièrement et de mémoire le Miserere à neuf voix en double choeur de G. Allegri qu’il a entendu une seule fois à la Chapelle Sixtine.
Mozart écrit d’un seul jet, sans reprise ni rature, et passe immédiatement à l’oeuvre suivante. Il compose l’ouverture de “Don Juan” en une nuit, l’opéra “La Clémence de Titus” en vingt jours durant un voyage en calèche de Vienne à Prague.
Opéras, symphonies, sonates et messes se succèdent, le tout étant parfaitement équilibré et stylistiquement dominé.
Quoique courte, sa vie intense peut être découpée en 6 grandes périodes.
L’enfance.
Son don miraculeux se révèle vers l’âge de trois ans.
Jusqu’à six ans, son père lui apprend le violon et le piano, et lui donne ses premières notions de composition. La première enfance semble harmonieuse, mais elle est rapidement assombrie par des voyages pénibles qui entraînent des maladies répétitives.
C’est l’époque des performances de l’enfant prodige exhibé comme un singe savant devant toutes les Cours d’Europe (Autriche, Allemagne, France…). Cette succession de déplacements et de succès extraordinaires l’empêche de vivre une enfance normale.
Son père qu’il admire est à la fois son maître, son impresario et son “dompteur”. Ainsi l’enfant, bridé, bardé de conseils pour affronter les grands, bringuebalé de ville en ville, n’aura qu’un seul refuge : la musique.
Il fait néanmoins preuve d’un caractère enjoué quoique versatile, avec un goût immodéré pour les jeux de mots et pour les chiffres, dont il couvre les murs de sa chambre.
Cette période, alternant voyages, concerts, maladies et études s’étendra jusqu’en 1770.
La musique de l’enfant est très marquée par le style de son temps et de son pays: galante, agréable et jolie, sans hardiesse mais déjà fort équilibrée. Jusqu’à l’âge de 10-12 ans, ses oeuvres sont sans doute corrigées et peut-être même remaniées par son père, lui-même compositeur à la cour de Salsbourg.
L’adolescence.
Dès 1770, Mozart entreprend une série de voyages en Italie où il parfait son éducation musicale auprès du Maître Martini. Mozart peine sur les devoirs contrapunctiques qui lui sont imposés, mais il prend ainsi connaissance d’un autre type d’écriture et se confronte aux Maîtres italiens du vieux style polyphonique.
Son Maître le juge “suffisant” mais malgré son grand orgueil, Mozart ne souffre guère de cette appréciation. .
Il est reçu à l’Académie. Le pape Clément XIV lui remet l’éperon d’or, distinction honorifique que Gluck, lui, n’a reçue qu’à l’âge de 40 ans.
Toutefois, de voyages en voyages, d’années en années, le charme de l’ enfant prodige n’opère plus. On n’étonne pas de la même façon à 15 ans qu’à 6 ans. De plus, Mozart n’est pas beau avec sa trop grosse tête, son corps malingre et son visage disgracieux et vérolé.
Enfin, sa musique reste encore confinée au style “galant” facile et “conventionnellement agréable”.
En 1774, il entre au service du nouveau Prince-Archevêque de Salsbourg, Coloredo.
S’opère alors la domestication de cet esprit fougueux. Mozart se met à composer sur commande, sage et discipliné comme il est de mise à l’époque.
Les relations de Mozart au Prince-Archevêque seront néanmoins toujours tendues jusqu’en 1777, année où il sera congédié. C’est pourtant durant cette époque que le compositeur apprend à dominer son génie, qu’il met en pratique son apprentissage et qu’il commence à s’envoler vers les cimes qui lui restent encore à atteindre.
La liberté. Les premiers malheurs.
Libéré de Coloredo, Mozart peut enfin composer, voyager et vivre sans entraves…
Il s’amourache de sa cousine, à laquelle il envoie des lettres scatologiques, séquelles d’une enfance perturbée. Mais tout cela n’est encore que jeux et joies d’un adolescent attardé.
Au début de l’année 1778, il tombe éperdument amoureux de Aloysia Weber, cantatrice de renom . C’est alors que tout se précipite: il veut tout quitter pour vivre avec elle. Son père s’oppose violemment à cette union, et Mozart doit partir à Paris avec sa mère Anna Maria.
Celle-ci meurt à Paris en 1778, et c’est la première confrontation de Mozart avec la mort d’un proche. Pourtant, d’après ses lettres, il semble s‘en désintéresser très vite et relance auprès de son père ses demandes concernant Aloysia.
Mais l’argent vient à manquer : plus de concert, pas de travail. Vertement rappelé à l’ordre par son père, il retourne à Salsbourg. Sur la route du retour, il passe par Munich où réside Aloysia. Dernier coup de poignard, elle le repousse et se rit de lui.
Mozart a 23 ans. Il est mûri par les épreuves, endurci par les déceptions.
Pourtant, il a pris pleinement confiance en lui du point de vue musical: “je suis capable d’écrire dans tous les styles. De ce côté, je ne crains rien”, écrit-il à ce moment à son père.
Le phoenix.
Mozart se relève de ses cendres. Il anoblit son art de tout ce qu’il a appris et de toute sa maturation intérieure. Il sent, il sait qu’il peut tout faire, sonates, concertos, symphonies, messes, opéras, avec un égal bonheur, un égal génie. A cette époque (1779-1781) il a déjà composé la moitié de son oeuvre.
De nouveau au service du Prince-Archevêque qui a daigné le reprendre, il se sent en liberté provisoire. Les rapports sont de plus en plus tendus. Coloredo le traite comme un domestique. Mozart, compositeur conscient de son talent et estimant mériter les attentions de son protecteur, ne le supporte pas.
En 1781, c’est la rupture définitive. Mozart est libre mais sans un sou et doit trouver les moyens de subsister. Le 9 mai 1781, il s’installe à Vienne. Il lui semble qu’une nouvelle vie commence. Tout est à faire, tout à construire, tout à composer.
Pourtant, la vie lui réserve un autre défi, et cette fois dans son domaine : la confrontation avec J.S. Bach. Au début de l’année 1782, chez un de ses amis, le baron van Swieten, il découvre par hasard le clavier bien tempéré du Maître allemand. Mozart tombe à genoux, assommé par le génie de Bach. Il perçoit toute la puissance, toute la profondeur, toute la maîtrise du génie du cantor. Ce style, nouveau pour lui, d’un compositeur pratiquement inconnu à l’époque, mort depuis plus de trente ans, Mozart mettra longtemps à le digérer, à l’assimiler, à en faire la synthèse dans sa propre expression musicale.
Mais pour l’instant, il se rend compte qu’il n’est plus le seul génie du monde devant Dieu. Bach l’oblige à se mettre de nouveau au labeur et à se dépasser.
Le 4 août 1782 il épouse contre le gré de son père Constance Weber, la soeur d’Aloysia.
A l’assaut de Vienne.
De victoire en défaite, de défaite en victoire, du bonheur au malheur, de l’abondance à l’emprunt, de l’insécurité à l’argent dilapidé, ainsi sont rythmées les années 1783 à 1790 .
C’est pourtant dans ce contexte que son génie prend toute son ampleur. Il ne compose plus que des chefs-d’oeuvre. Naturellement, avec une vitalité et un bonheur croissant au fur et à mesure que sa propre vie se consume à la vitesse d’une bougie par nuit d’orage. Il est alors au plus haut de sa maturité de musicien: il a assimilé tous les courants, tous les styles de son époque, il crée des synthèses extraordinaires dans tous les domaines… et il va en souffrir : “il y a des barbares qui, dépourvus de toute ouïe, s’entêtent à faire de la musique” écrit-on à propos de ses quatuors dédiés à Haydn (1784).
Durant cette période, Constance lui donne 6 enfants dont deux seulement lui survivront.
Phare de la culture austro-hongroise sous l’empire de Joseph II, ville de tous les espoirs et de toutes les chances, Vienne assiste jusqu’en 1786 à la montée du musicien avec les succès de “L’enlèvement du Sérail”, de ses six concertos pour piano (kl 449-450-453-451-456-459) et des “Noces de Figaro”. Cet opéra remporte d’emblée un triomphe extraordinaire, mais ne reste à l’affiche que neuf jours. Sans doute sous la pression du compositeur officiel de la Cour, Salieri, c’est l’opéra “Cosa Rara” de Martin y Soler qui reçoit le plus grand des succès quelques jours plus tard, évinçant Mozart.
Après le rejet des “Noces” et des quatuors “Haydn”, Vienne ne lui commandera plus d’opéras durant trois longues années.
Mozart ne vit que des concerts où il se produit en personne (il reste un pianiste exceptionnel et admiré), mais cela ne couvre pas toutes les dépenses du couple.
Il compose “Don Giovani” pour Prague en 1787, mais Vienne reste sourde.
Prague lui tend les bras, lui propose tout ce que Vienne lui refuse, succès et appuis officiels. Mais Mozart ne veut pas s’y installer.
Il semble qu’il ait besoin d’une certaine solitude pour composer. Et il compose avec acharnement.
Il est alors harcelé par la mort: son troisième enfant, son amie Hartzfeld, son père malade qui s’éteint en 1787 sans avoir revu son fils avec lequel il ne s’était que partiellement réconcilié.
Son entrée en franc-maçonnerie dès 1784 l’aide certainement dans ces épreuves. Il y trouve soutien, écoute et des amitiés durables. Mais, en dehors de la musique, rien ne peut transfigurer la douleur intérieure (Comment ne pas voir dans “Don Giovani” la mise en scène de son propre problème avec son père qu’il se sent coupable d’avoir tué de chagrin par une vie dissolue, et dont il attend le châtiment ).
Le déclin et la montée vers le soleil.
De 1789 à sa fin précoce le 5 décembre 1791, alors que sa situation financière, sa santé, sa position sociale se dégradent, tout dans sa musique n’est qu’ascension vers la lumière, tout n’est que ravissement et suprême enchantement. Son quintet et le concerto pour clarinette sont baignés d’une surprenante sensation de quiétude. Ses trois dernières symphonies préfigurent la grande symphonie romantique; et notamment l’éclatement solaire du dernier mouvement de la 41ème, où il allie la forme fugue à la sonate, maîtrisant l’héritage de Bach.
Et puis la “Flûte Enchantée”, réconciliation avec l’humanité tout entière, issue des idées maçonniques, préfigure l’univers métaphysique de la IXème symphonie de Beethoven.
Ce n’est que quelques mois avant sa mort qu’il reçoit la commande d’un Requiem. C’est pour lui-même qu’il composera la plus sublime des musiques funèbres. Son Requiem sera terminé par son élève Süssmayer et donné sous le nom de son commanditaire von Walsegg.
La musique de Mozart reste un mystère.
Comment une telle perfection, une telle beauté sont-elles possibles?
Plus on pousse l’analyse des oeuvres, plus l’analyse touche à l’indicible.
Mozart pourtant n’invente rien, il ne détruit rien; au contraire, il intègre tout, magnifie tout. Il ne faut, pour s’en persuader, que regarder le “patchwork” d’écriture que constitue la “Flûte Enchantée”. On va de la polyphonie serrée, contrapuntique (ouverture et début des Epreuves du Feu dans l’acte II) à une écriture plus populaire dans “l’air de Papageno”, à l’Aria Dramatico de “La Reine de la nuit”, tout aussi bien à la cantate oratorio du final de l’acte I.
Duo, trio, quintet, choeur et “sinfonia”, terme qui désigne tout morceau de musique purement instrumentale au sein d’un opéra, se succèdent avec le même enchantement de combinaisons de style et d’écriture. Qui d’autre aurait pu réussir une telle gageure? Qui peut citer aujourd’hui un compositeur contemporain de Mozart, en dehors de Salieri (dont le nom est tragiquement lié à celui de Mozart) ?
Mozart traverse l’histoire de la musique comme une étoile filante, mais dont la puissance dépasse celle de mille soleils.