Cette fin de siècle voit apparaître, notamment en France avec le contrecoup de la révolution de 1789, d’importants changements sociaux, économiques et culturels: baisse de la puissance économique et sociale de l’aristocratie, baisse du sentiment religieux et de l’autorité de l’Eglise. Parallèlement, on assiste à la montée de la classe bourgeoise et à une certaine élévation du niveau culturel du petit peuple des villes.
En Autriche, les familles nobles restent malgré tout très riches et puissantes.
Si les artistes sont encore dépendants des princes et souvent considérés comme des domestiques, la noblesse a de moins en moins de moyens pour entretenir des orchestres complets dans ses cours. Elle s’oriente alors plutôt vers le mécénat. Les cours commandent des oeuvres aux compositeurs et louent les services d’orchestres pour une ou plusieurs prestations. Les musiciens sont payés au coup par coup.
Dans le même temps, une partie de la puissance économique se déplace vers la grande et moyenne bourgeoisie qui n’hésite pas à faire construire des salles de spectacles et à devenir commanditaire d’oeuvres musicales ou théâtrales.
Les éditeurs de musiques prolifèrent. Toutefois, la protection des artistes (les droits d’auteurs) n’ existe pas. Les oeuvres sont achetées une fois pour toutes et deviennent la propriété des éditeurs. Certains vont jusqu’à corriger des oeuvres de Mozart, de Beethoven, ou d’autres qui leur paraissent trop avant-gardistes.
Le marché est florissant, d’autant qu’un nouvel instrument, très vite à la mode, va supplanter le vieux clavecin: le piano forte. En 1810-1811, Erard expose à Paris ses modèles de piano moderne.
Le piano a vu le jour dans le dernier tiers du XVIIIème. Il a rapidement évolué et connaîtra sa forme définitive vers le milieu du XIXème siècle.
Mozart composait déjà pour cet instrument qui permet de jouer “piano”(doucement), et “forte”(fort), ce que n’autorisait pas le clavecin, instrument à cordes pincées, et non frappées par un marteau. L’écriture s’enrichit donc de différences de puissance au pouvoir suggestif considérable. S’il n’y a aucune indication de nuance dans la musique pour clavier de Bach, les sonates de Mozart et de Beethoven seraient inconcevables sans elles.
D’autres nouveaux instruments naissent durant cette période : la clarinette, le saxophone. D’autres encore se voient perfectionnés par des inventions non négligeables : le piston pour tous les cuivres, le pédalier pour la harpe. Tout cela permettra de jouer dans tous les tons sur le même instrument. Par exemple, l’invention du piston pour le cor permettra une utilisation beaucoup plus importante des cuivres dans toute la musique à venir.
C’est dans ce contexte de changement et d’évolution qu’on voit s’épanouir les concerts privés à différents niveaux de la société. Bientôt, des scènes de concerts populaires, vastes et ouvertes à tous, feront rapidement et définitivement disparaître l’opéra privé de cour.
La musique s’ouvre au grand public, et le nouveau compositeur “citoyen” devra s’y plier pour survivre…
Franz Schubert (1797-1828)
Schubert, bien que contemporain de Beethoven, se situe aux antipodes de ce dernier. Il n’écrit pas pour la postérité, il n’a pas conscience de son propre génie. Il n’a ni l’obstination ni l’orgueil de son aîné qu’il admire pourtant profondément. Schubert se contente de son image de musicien de petit comité (schubertiade), de compositeur de lieder et de petites pièces pour piano (les impromptus, la valse ou la mazurka). Sa musique de chambre reste confidentielle et sa musique symphonique est à l’époque totalement inconnue. Car le compositeur se sent dans l’ombre du grand Beethoven et ne croit pas véritablement à son talent.
Beethoven a donné une place considérable au développement et au devenir d’une thématique. Les thèmes changent au gré des développements comme un individu change au gré des événements de sa propre vie.
Chez Schubert, le matériel thématique est tout de suite plein, abouti et beau; il n’a guère besoin de développements gigantesques. Il lui suffit de les répéter pour en dégager la plénitude.
Il s’épanouit totalement dans des petites formes comme le lied (il en écrira plus de six cents) qu’il peut lui-même exécuter au piano et où il atteint des sommets de musicalité.
Il sera d’ailleurs longtemps considéré comme un compositeur exclusif de lieder. Il faudra attendre Schumann pour prendre enfin conscience de sa puissance en tant que symphoniste.
Son inaptitude aux fonctions officielles (directeur, kapellemeister), ses problèmes avec le sexe faible, ses doutes face à sa création, sa vie trop courte, font de lui non pas un modèle comme l’était Beethoven, mais un véritable romantique dans l’âme.
Sa musique, quant à elle, préfigurant Schumann, reste encore teintée de classicisme. Il ne cherche pas à transfigurer la forme sonate, la symphonie et les quatuors, mais il les amène à un haut niveau de sensibilité. A l’inverse de la musique extravertie de Beethoven, Schubert nous donne son chant intérieur avec une émotion extrême.
Nous avons bien là les deux pôles de toute l’expression romantique : Beethoven obligeant à se dépasser et Schubert favorisant l’introspection.
Franz Schubert naît à Vienne en 1797. Son père, instituteur, lui apprend les premiers rudiments d’une éducation musicale qu’il approfondira par la suite auprès de Salieri.
Mais il veut faire de lui un instituteur, métier que Franz déteste et il quitte le domicile paternel, n’ayant plus aucun revenu régulier. Vivant de charité et d’aides diverses, changeant fréquemment de domicile, il n’a qu’une seule discipline, celle de son travail.
Il compose tous les jours, s’astreignant à un travail intense, ce qui lui permettra de laisser une oeuvre importante pour un compositeur n’ayant vécu que 32 ans.
Mais il compose dans l’ombre, inconnu du grand public, et ce jusqu’à sa mort. Sa 9ème symphonie ne sera jouée qu’en 1839 sous la baguette de Mendelssohn, soit onze ans après sa disparition. La 8ème le sera en 1865.
Schubert compose pour lui-même, avec une fervente ardeur, mais sans jamais se soucier du sort de son oeuvre. Il laisse ses partitions sur des coins de table, les empile dans la cave de son frère ou de quelques amis, dans une suprême insouciance de la postérité.
Les seuls endroits où il diffuse sa musique sont ces fameuses “schubertiades ” : des cafés ou chez des amis, où l’on passe la nuit à boire, à chanter, à fumer, à parler et, à la sauvette, goûter aux joies de l’amour physique.
C’est ainsi qu’il attrape la syphilis qui l’emporte en 1828 dans une Vienne où il est toujours méconnu. Personne ici ne sait qu’un grand musicien est mort et que les bases du romantisme musical sont définitivement jetées.